Écrit par Augustine De Beaumont - Mis à jour le 6 sept. 2024
Fruit d'un savoir-faire artistique bien gardé, et sujet central de nombreuses législations visant à restreindre sa diffusion en fonction notamment de sa provenance, la dentelle a marqué l'histoire de nombreux pays européens.
Vous souhaitez connaître la place réelle, que la France a pu occuper dans ce secteur ?
Comment cette dernière à joué un rôle prépondérant dans les évolutions de ses techniques, et à quel point la dentelle fut au cœur du plan Colbert pour la prospérité et le prestige de la France dans toute l'Europe ?
La dentelle française est réputée pour sa finesse, son raffinement et son savoir-faire artisanal exceptionnel. Fabriquée à la main ou à la machine, elle se distingue par ses motifs délicats et complexes, souvent inspirés de la nature. Ce patrimoine textile d'excellence, utilisé dans la mode, la lingerie et l'ameublement, incarne l'élégance et le prestige de l'artisanat français à travers le monde.
Voici ce que vous allez découvrir dans cet article :
- Les raisons exactes de la création des "Manufactures Royales des points de France"
- Les spécificités de la dentelle française
- Les régions et villes clefs qui ont été les réservoirs de créativité pour cette industrie textile hors pair
Découvrez la guerre sans merci à laquelle les peuples européens se sont livrés pour assoir leur domination sur ce secteur industrielle stratégique pour l'économie et le prestige des nations de l'époque. Découvrez comment cette industrie à su perpétuellement se renouveler, et se réinventer au fil de son histoire, afin de juguler les périodes de fortes récessions.
Voyons ensemble comment l'art a pu dominer les relations internationales des plus grandes puissances d'alors. N'attendons guère davantage, découvrons tout cela ensemble dès maintenant.
La dentelle historique et les centres dentelliers en France
La dentelle en France aux XVIe et XVIIe siècles, avant la fondation des "Manufactures Royales"
Les recueils de modèles et les premiers documents archivistiques et iconographiques
Dès la seconde moitié du XVIe et encore bien davantage au XVIIe siècle, la France fut grand amateur de dentelles. Les nombreux recueils de modèles de broderies et de dentelle le prouvent. Un des premiers, de la main de Dominique de Sera, fut publié par le graveur sur cuivre Jean Cousin à Paris en 1584. C'était la troisième édition d'un livre édité à Lyon en 1531 par Dominique Celle, un Français résidant en Italie. À la fin du XVIe siècle, l'Ile-de-France était réputée pour sa production de broderie à jour de type point coupé et filet. Ceci n'a rien d'étonnant puisque Catherine de Médicis, épouse de Henri II, était la protectrice du célèbre dessinateur vénitien Vinciolo qui avait édité à Paris plusieurs recueils de modèles pour ces techniques. De son pays, l'Italie, la reine aurait introduit en France le point coupé qu'elle pratiquait elle-même.
En 1587, Vinciolo publia les "Singuliers et nouveaux Pourtracts, un recueil de modèles de filet. En 1598, Jacques Foillet édita à Montbéliard une collection de patrons pour le point coupé. C'est dans ce volume qu'apparaît pour la première fois le mot "dantelles". Un Anglais, Matthias Mignerak, considéré comme un "ouvrier fort expert en toute sorte de lingerie" dédia son ouvrage La pratique de l'aiguille industrieuse à la reine Marie de Médicis. Il y manifeste sa préférence pour le filet, tout en y faisant figurer des "passements aux fuseaux" dans le style d'Elisabetta Catanea Parasole.
Des portraits, mais aussi les comptes de certains notables mentionnant des "fraises à poinct couppé", un "passement blanc" ou un "passement faict à l'esquille", prouvent que le point coupé était à la mode à la cour de France dans la seconde moitié du XVIe siècle. Sur son portrait peint par François Clouet en 1559, la duchesse Claude de Lorraine porte, autour d'une collerette fraisée en filet, un col ouvert entièrement bordé de reticella (Munich, Alte Pinakolthek).
La France importait de Flandre beaucoup de lingerie fine, mais avait aussi d'importants échanges commerciaux avec l'Italie, grâce à l'intervention de ses deux reines florentines Catherine et Marie de Médicis.
La dentelle dans les cols et les collerettes
Dès l'instant où, dans la mode tant féminine que masculine, la fraise dit son apparition, la demande de métrages de dentelle s'accrut considérablement. Selon la tradition, la mode de la fraise aurait été lancée par Henri II qui voulait ainsi cacher une cicatrice qu'il avait au cou. Les grandes fraises, montées sur un support métallique, étaient en effet portées très haut. Quant à Henri III, il devint la risée de tous à cause de ses cols extravagants. Leur forme ressemblait à la membrane appelée fraise qui enveloppe les intestins du veau. Elle valut au roi, lorsqu'il parut au marché de Saint-Germain en 1579, d'être pris à partie par des étudiants parés de cols en papier plissé et criant "A la fraise on connoit le veau". Ces cols prirent des proportions telles que les souverains avaient du mal à tourner la tête : "s'ils se tournoient, chacun se reculoit, crainte de gater leurs fraizes". Lorsqu'elle voulait manger du potage, la reine Margot était obligée d'envoyer chercher une cuillère de deux pieds. Ces cols, qu'aux Pays-Bas on appelait de façon satirique des meules, n'étaient pas seulement gigantesques mais aussi très coûteux. La mode en changea peu à peu : au début du XVIIe siècle, la classe privilégiée portait également des cols plats, montés ou non sur un support métallique, mais toujours abondamment garnis de point coupé et de dentelle.
La reine Marie de Médicis, épouse de Henri IV, exerça une forte influence sur le sort de la dentelle en France. Ses portraits la montrent parée des dentelles les plus riches, portant souvent un col en éventail ou un col Médicis en reticella et en fine dentelle à l'aiguille. Les enfants royaux, entre autres Louis XIII, brillaient de l'éclat des dentelles les plus fines. Le règne de Marie de Médicis contenait en germe le luxe qui allait dégénérer sous Louis XIII et surtout sous Louis XIV.
La production dentellière en France avant 1665
Avant la fondation des Manufactures Royales en 1665, la production dentellière en France même était généralement d'un niveau assez modeste. On faisait plutôt appel à la dentelle étrangère qu'on importait des grands pays dentelliers de jadis, la Flandre et l'Italie. On faisait cependant de la dentelle dans toute la France sans qu'elle puisse toutefois concurrencer celle des pays voisins.
L'auvergne possédait déjà au XVIe siècle une industrie passementière importante, avec des centres comme Aurillac et Le Puy, sur la route vers l'Espagne et l'Italie. Les bordes en fil de soie, d'or et d'argent d'Aurillac étaient destinés à la France mais surtout à l'Espagne, d'où leur nom de point d'Espagne. L'industrie dentellière y était déjà fort répandue en 1640. Lorsque la Cour de Justice de Toulon promulgua un décret interdisant le port de dentelle de soie, de lin blanc, d'or et d'argent, en arguant du fait qu'on ne trouvait plus de personnel de maison, le Père Régis (1597-1640) parvint à le faire annuler car, pour lui, l'industrie dentellière représentait une source indispensable de revenus pour la population. Le Puy-en-Velay était renommé pour ses passements de lin et de soie et l'Auvergne, au cours de son histoire, a toujours fait de la dentelle de ce type. On trouve également des traces de passementerie en Lorraine : la ville de Mirecourt en était un centre réputé.
Le Calvados, célèbre pour sa broderie à jour, produisait aussi de la dentelle. La Normandie dentellière, qui avait un nombre appréciable d'ouvrières dans le Pays de Caux, proche de Dieppe et du Havre, connut sa période la plus prospère pendant la seconde moitié du XVIIe siècle. Arras fut de tout temps un centre réputé. La dentelle métallique était fabriquée à Lyon ainsi qu'aux environs de Paris, qui était un centre de dentelles aux fuseaux et à l'aiguille de qualités inégales.
En 1634, le marquis de la Gomberdière estimait qu'environ 10 000 familles d'Ile-de-France et des districts environnants faisaient de la dentelle. A Alençon, un des centres français les plus importants de dentelle à l'aiguille, on trouve des extraits d'actes et de contrats de mariage de jeunes filles fortunées qui font état en 1609 de réseuil : "La future remet sept vingt dix livres (150 liv.) pour être employées en rente au nom de ladite fille, laquelle somme elle a gagnée à faire des ouvrages de réseuil et de tapisserie chez les sieurs de Nossy et de Lavarderie".
Le terme "point coupé" n'apparaît qu'en 1639 tandis que le mot "vélin", littéralement "parchemin", qui se rapporte à la dentelle aux fuseaux ou à l'aiguille cousue sur parchemin, est mentionné pour la première fois en 1659.
Réglementations du port de la dentelle : les édits somptuaires
À partir du deuxième quart du XVIIe siècle, et sous l'influence de la cour, le goût de l'ostentation ne connut plus de limites. La France importait en masse les produits de luxe étrangers et se ruinait en achats de grandes quantités de dentelles flamandes et italiennes.
Il fallait trouver un remède à cette situation. Plusieurs édits essayèrent de limiter le port de la dentelle. La première ordonnance la concernant date de 1629 et stipulait déjà qu'on ne pouvait plus porter de dentelles étrangères, si ce n'est les passements en point coupé ne dépassant pas un certain prix. Suite à un édit de 1654, un quart de la production de dentelles étrangères fut attribué au roi.
Une autre "Ordonnance contre le luxe et la superfluité des habits (1656) s'attaquait entre autres aux points de Venise. Promulguée en 1644, elle avait été rééditée et adaptée jusqu'en 1656. Une loi du 21 février 1658 taxait "toutes sortes de dentelles de soie et de quelques couleur que ce soit".
Louis XIV interdit en 1660 le port de toute dentelle étrangère mais imposait également des limites à la française. Cet édit, le dernier d'une série de 32, fut à l'origine de "La Révolte des Passements", une pièce satirique dédiée à Mademoiselle de la Trousse, une parente de Madame de Sévigné.
Les dentelles étrangères de l'époque s'y révoltent comme les unités d'une armée. La même année, Molière se moquait de l'édit d'interdiction en confiant sa défense au ridicule Sganarelle.
Cet édit n'eut aucun effet, de sorte qu'il fallut en promulguer d'autres en 1661, 1662, et 1664, dirigés principalement contre les dentelles vénitiennes et gênoises. Seuls le roi et la noblesse échappaient aux mesures prises, ce qui mécontenta les autres milieux et rendit la dentelle, comme signe extérieur de richesse, encore plus attrayante à leurs yeux.
La dentelle étrangère leur était donc devenue indispensable, et s'il n'était pas possible de l'acheter en France, on la passait en contrebande, éludant ainsi du même coup les importants droits d'importation sur la dentelle autorisée.
Fondation des "Manufactures Royales des Poincts de France"
Objectifs et organisation
Sous Louis XIV, la cour de France fit étalage de son incroyable richesse. L'empire du Roi-Soleil dominait toute la société, donnant le ton à toute l'Europe dans le domaine des arts, de la littérature, de la science et de la mode. Pour satisfaire ce goût de luxe et d'opulence, le pays achetait aux territoires environnants ce qu'ils avaient de plus beau et de meilleur, faisant ainsi un tort énorme à sa propre industrie.
On tournait ou on ignorait les édits. Voulant redresser la situation économique devenue catastrophique, Jean-Baptiste Colbert, ministre des finances de Louis XIV, élabora un plan qui allait porter son nom. Il ne voyait qu'un seul moyen capable de rétablir l'équilibre ; améliorer la qualité afin qu'elle puisse concurrencer celle des produits étrangers. Ce système empêcherait la fuite des devises, tandis que la vente des produits nationaux dans le pays et à l'étranger aurait des conséquences financières intéressantes. Si l'on voulait écouler les marchandises sans trop de difficulté, il fallait les mettre au point en se conformant au goût des acheteurs potentiels.
Pour ce qui est de la dentelle, Colbert fonda les "Manufactures Royales des Poincts de France". Il fit venir clandestinement, dans les centres français existants, quelque 200 dentellières flamandes et 30 italiennes chargées d'instruire les ouvrières des ateliers français.
Colbert avait préparé son organisation depuis quelque temps et il ressort de sa correspondance de 1664 qu'il avait eu des contacts intéressants, favorables à son projet. Une lettre de l'ambassadeur de France à Venise, Monseigneur de Bonzy, évêque de Béziers dit ceci :
"Je vois que vous seriez bien aisé d'establir dans le royaume la manufacture des points de Venise, ce qui se pourrait faire en envoyant d'icy quelques filles des meilleures ouvrières qui puissent instruire celles de France avec le temps".
Le siège et la succursale commerciale de cette institution étaient établis à Paris, à l'Hôtel Beaufort, et les subsides de l'État accordés pour 10 ans. Dès 1668 on compta de nouveaux actionnaires. Les premiers dividendes furent payés en 1669. Lors de la dissolution de la Compagnie en 1675, à l'expiration du privilège de dix ans, les actionnaires purent encaisser, outres le montant de leur participation, un bénéfice considérable.
Le but était atteint et, jusqu'à la Révolution française de 1789, la France allait donner le ton dans le domaine de la dentelle.
Réactions de l'étranger vis-à-vis de la création des Manufactures Royales de dentelle
La Flandre et Venise se révoltèrent contre l'intervention de la France car la dentelle représentait un enjeu économique important : ses secrets étaient considérés comme des secrets d'état. Des ordonnances flamandes et vénitiennes promulguées pour protéger la dentelle, montrent que des recruteurs français infestaient ces régions à la recherche de secrets dentelliers et que des peines sévères - confiscation des biens, flagellation et échafaud - attendaient ceux qui les divulguaient. Venise réagit tout aussi violemment.
Le point de France au XVIIe et au début du XVIIIe siècle
Colbert avait compris qu'il ne fallait pas seulement perfectionner la technique dentellière mais aussi donner à ce textile français un caractère propre. C'est pourquoi les artistes de différentes disciplines artistiques furent invités à dessiner des projets. N. de Langres, dessinateur de plantes et d'animaux du Jardin du Roi, fit des dessins pour l'industrie française de la soie comme pour la dentelle aux fuseaux ou à l'aiguille, mais aussi Le Brun qui était à la fois peintre à la cour de Louis XIV depuis 1662 et directeur de la "Manufacture des Gobelins et du Mobilier Royal".
Leurs compositions se caractérisent par une imposante symétrie évoquant le luxe et la richesse de la cour. On peut y voir, sous des formes architectoniques légères et élégantes et sous des baldaquins aux draperies gracieuses, le thème du Roi-Soleil : le lys de France, une couronne, un soleil ou un tournesol, ou encore l'image du roi en empereur romain.
Le Brun, mort en 1690, fut remplacé par Bérain, déjà Dessinateur de la Chambre et du Cabinet du Roi, dont le style plus léger se caractérisait par un décor moins classique, plus fantaisiste, agrémenté de grotesques et de listels Renaissance et souvent peuplé de personnages et d'animaux détaillés avec beaucoup de fantaisie. Les chinoiseries et les motifs exotiques annonçaient le rococo. L'importance de l'exclusivité du dessin ressort d'une lettre écrite en 1680 par des marchands "de velin et de point de France" d'Alençon. Ils déplorent le vol d'une nouvelle série de dessins et réclament des sanctions sévères en cas de plagiat. Quoique cette lettre fût écrite après la dissolution de la Manufacture Royale, elle montre que Colbert ne se désintéressait pas de l'industrie dentellière.
Les manufactures ne pouvaient travailler que sur des dessins français et toute dentelle, toutes techniques confondues, était à l'origine appelée Poinct de France. Ce n'est qu'à partir du moment où la dentelle à l'aiguille d'Alençon occupa une place prépondérante que cette appellation ne concerna plus que le type de dentelle à l'aiguille spécifique qui datait de la fin du privilège et ne prit son essor qu'après la fermeture.
En 1673, le Mercure Galant décrivait comme suit le nouveau point de France : "
des brides qui étaient remplies d'une infinité de petits picots". Comparé à la dentelle de Venise, le mat était relativement plat, mais richement nuancé et relié par une maille hexagonale picotée. Seul ce type de dentelle était jadis autorisé à la cour de France. La production de cette dentelle merveilleuse fut poursuivie au XVIIIe siècle et sa qualité maintenue à un haut niveau.
Le style Régence se manifesta aussi dans le point de France et donna encore plus de richesse et d'élégance au dessin quelque peu alourdi par l'abondance des grands éléments floraux.
Alençon et Argentan aux XVIIe et XVIIIe siècles
Les réactions contre l'institution des Manufactures Royales à Alençon
Alençon s'était spécialisée dans le gros point de Venise et une grande partie de sa population vivait de l'industrie dentellière. À partir de 1656, on y avait coutume de préciser, dans les contrats de mariage des jeunes filles, l'origine de leur dot, et la réalisation de dentelles tenait ici une place prépondérante. Rien d'étonnant donc à ce que la population se soit opposée aux mesures draconiennes du gouvernement. La fondation des Manufactures Royales, et surtout leur privilège, impliquaient en effet la disparition du travail à domicile ou en atelier. La production, sous contrôle rigoureux de l'Etat, ne pouvait en outre réaliser que les types de dentelles imposés. Les dentellières étrangères pouvaient soudainement faire la loi, ce qui suscita de vives réactions et un climat défavorable. En un premier temps, la population essaya de tourner les lois et maintint sa production de dentelles originales. Les perquisitions, même dans les couvents, et l'impossibilité de trouver acquéreur eurent raison de la résistance : l'industrie dentellière telle que l'avait prévue Colbert avait triomphé.
L'industrie dentellière à Alençon après la suppression des Manufactures Royales de Points de France
La ville d'Alençon traversa une période de crise après la suppression du privilège, surtout au cours des années 1678-1684, suite à l'instauration de nouvelles prescriptions et de mesures de protection. Elle seule conserva cependant le privilège d'appeler sa dentelle "point de France". Dans sa correspondance, Colbert compare constamment les productions françaises et italiennes : il fallait coûte que coûte que la dentelle française soit la meilleure.
Les guerres et l'exode des huguenots français après la révocation de l'Édit de Nantes en 1685 détériorent la situation de l'industrie dentellière. La production connut cependant un léger mieux et était même redevenue assez importante en 1698 si l'on en croit les "Mémoires de M. de Pomereu : "La manufacture des Points de France est l'une des plus considérables du pays ; des femmes et des jeunes filles y sont employées au nombre de 800 à 900 sans compter celles de la campagne dont le nombre est considérable. C'est un commerce d'environ 500.000 livres par an".
Dans le courant du XVIIIe siècle, la dentelle à l'aiguille s'enrichit d'un fin fond de réseau. L'auteur flamand de l'Almanach des Négociants ainsi qu'Honoré Lacombe de Prezel, auteur français du Dictionnaire du Citoyen, mentionnent que dans le troisième quart du XVIIIe siècle, la dentelle à l'aiguille française était moins belle que la dentelle bruxelloise et qu'on expédiait beaucoup de point d'Alençon vers Bruxelles pour y faire intégrer un fond. Ce dernier était souvent un réseau drochel.
Alençon et ses environs comptaient encore, en 1772, plus de 10.000 dentellières. En 1787, il n'en restait que la moitié. Cette situation allait de pair avec une baisse des prix due à la préférence donnée soit au point d'Angleterre, soit à la blonde ou à d'autres types de dentelles, d'où l'absence de commandes de dentelles d'Alençon.
L'industrie dentellière à Argentan au XVIIIe siècle
Argentan et Alençon ne sont pas seulement proches sur le plan géographique et historique, il arrive que l'on confonde leurs productions dentellières. Quoique n'ayant pas de Manufacture Royale, Argentan était une ville active à l'époque des manufactures et fournissait de la dentelle aux mêmes marchands. Mathieu Guyard, marchand mercier de Paris, et le dessinateur Montulay y fondèrent une nouvelle "fabrique de dentelle dans la ville d'Argentan et en tels autres lieux de la Généralité d'Alençon" dans le but d'y faire du point de France et du point d'Angleterre. Moutulay monta également une autre firme et les deux hommes rivalisèrent au point que, dans les archives locales, on peut suivre l'évolution de toute l'industrie dentellière rien qu'au vu des péripéties de cette concurrence.
En 1713, M. Feydeau de Brou, intendant d'Alençon, écrivait dans un rapport sur Montulay : "il en fait travailler plus de 700 dans la campagne" et "Il serait dangereux d'accorder à Montulay seul le privilège d'une manufacture pour ces sortes d'ouvrages. Cet établissement causerait un grand préjudice au petit peuple". En 1733, Montulay employait, rien qu'à Argentan, 400 à 500 personnes. Jouissant d'une excellente réputation, il reçut même des commandes de la cour. Il réalisa également "le drap de lit pour le mariage du Roi. La layette des Dames premières, et en dernier lieu, le tour de lange de Monseigneur le Dauphin".
Après le décès de Montulay en 1741, ses privilèges allèrent à du Ponchel. Un rapport signale que ce dernier fournissait du travail à plus de 1500 dentellières. M. Guyard, qui avait une affaire à Paris et était titulaire du premier privilège, exploitait toutefois la firme la plus importante - 600 ouvrières rien qu'à Argentan en 1708 - firme qui passa de père en fils jusque dans la seconde moitié du XVIII e siècle. La réputation de la dentelle d'Argentan ne s'était pourtant pas encore répandue, pour la bonne raison que Guyard lui donnait le nom de point d'Alençon. Même Savary ne la mentionne pas encore dans son Dictionnaire du Commerce en 1723. Plusieurs fabriques s'installèrent à Argentan - elles étaient trois en 1763 - sans oublier l'hôpital général de Saint-Louis.
Elles devaient avoir une certaine importance puisqu'elles travaillaient entre autres pour la cour. Madame du Barry achetait de la dentelle à l'aiguille en grande quantité, celle-ci n'étant le plus souvent pas spécifiée, du moins dans ses comptes pour l'année 1772. Les pièces dont le type est connu étaient toutes en Argentan, ce qui permet de supposer que les anonymes étaient en Alençon et que l'Argentan, plus fin et plus cher, était donc toujours mentionné.
Un rapport des Assemblées Provinciales dans les Généralités de Rouen, de Caen et d'Alençon de Novembre 1787 confirme qu'en France, on attribuait à Argentan la dentelle la plus importante : " Le point d'Argentan a toujours plus de beauté et de perfection que celui d'Alençon, parce qu'on ne s'y est jamais attaché qu'aux premières qualités.
La technique dentellière d'Alençon et d'Argentan
La dentelle aux fuseaux était celle qui, au XVIIIe siècle, répondait le mieux aux exigences de la mode nouvelle des voiles souples et des dentelles légères. Pour satisfaire à la tendance de cette mode, Alençon allait adapter la maille du point de France. Dans l'Alençon typique, on la fit plus petite et non festonnée, mais seulement tournée : il s'agissait de mailles de points de feston ouverts. Ces mailles furent étirées en forme de carrés de sorte que l'on pouvait voir le sens du travail, perpendiculaire à la lisière.
Cette évolution s'accomplit vers 1700. Madame G. Despierres pense que le fond de la dentelle à l'aiguille flamande a été transmis à la France, qu'il s'est développé à Alençon entre 1690 et 1705 et qu'il apparaît sous son propre nom depuis 1717.
À l'origine, les techniques de l'Argentan et de l'Alençon étaient distinctes : toutes deux avaient une petite maille hexagonale; celle de l'Argentan étant toutefois festonnée sur ses côtés, comme dans le point de France, mais sans picots. Argentan maintint cette maille jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Ses dessins avaient plus de mat et des réseaux d'ornement plus variés que ceux d'Alençon, surtout entre 1730 et 1750. Après cette date, la différence n'est plus perceptible et il est même probable que les deux sortes de dentelles étaient produites dans les deux villes. On a tendance à attribuer tous les fonds de mailles légers à Alençon et les fonds à brides ou à grandes mailles à Argentan, alors que le fond de l'Argentan se modifia lui aussi vers 1760.
À partir de 1780, le fond gagna du terrain, les motifs ne figurant le plus souvent qu'au bord. Depuis 1775 environ, Alençon a toujours travaillé ses reliefs sur un crin et non plus sur un fagot de fils comme anciennement ou comme c'était la coutume dans d'autres centres. Cette technique était d'ailleurs connue puisque le Dictionnaire du Citoyen de 1761 note que le crin de cheval n'était pas d'un emploi idéal puisqu'il gonflait et se déformait à la lessive. Le crin blanc restait en place dans les contours des motifs et donnait une certaine fermeté au travail.
Les points de luxe ou modes étaient réalisés sur un crin noir, plus visible, que la dentellière retirait ensuite. La valeur de la dentelle dépendait entre autres du nombre de réseaux d'ornement. Les lisières étaient bordées de picots. Une fois séparées au rasoir les deux couches de base en tissu, la dentelle était libérée de son fond provisoire et les fils cassés retirés à la pincette. Venait ensuite un repassage à froid : on frottait le mat avec une pince de homard afin de faire ressortir le relief. Ce traitement se pratiquait anciennement avec une dent de loup.
L'argentella
Dans les années 1720-1730, les fonds décoratifs jouèrent un rôle important dans l'aspect de la dentelle. Il n'était parfois même plus question de maille d'Alençon ou d'Argentan, l'élégant œil-de-perdrix ayant envahi de ses nombreuses variations tout le décor de la dentelle. Le réseau d'ornement parsemé d'étoiles, ces hexagones ouverts ayant au centre de petits hexagones remplis, était réalisé à Argentan au cours de la première moitié du XVIIIe siècle ainsi qu'en Italie. Très fragile, il était réservé aux accessoires vestimentaires de petite largeur. On peut en voir sur les manchettes de George Gougenot de Croissy, dans son portrait peint par Greuze en 1758 (Bruxelles, Musée Royal des Beaux-Arts).
L'appellation argentella n'a aucune base historique. Les dentellières françaises auraient inventé cette jolie maille en copiant les remplissages des tissus de soie. Le lien unissant les deux textiles était si étroit que l'on retrouvait dans certaines soies tissées des dessins empruntés à la dentelle.
La fonction de la dentelle dans la mode des XVIIe et XVIIIe siècles
Convertir les classes aisées au point de France et à l'abandon des anciennes dentelles, le plus souvent étrangères, ne fut pas une sinécure. C'est ainsi que Colbert demanda en 1669 à M. de Saint-André, ambassadeur de France à Venise à l'époque, de veiller à ce que les marchands français n'achètent plus de dentelles de Venise. Grâce à cette mesure radicale, le point de France fut finalement accepté et apprécié par l'élite.
La dentelle fut employée dans la décoration du mobilier, entre autres sous forme de volants entourant les baignoires et les tables de toilette. On en réalisait également à la demande des autorités religieuses. Ces messieurs étaient les portedentelles par excellence et leurs atours n'avaient rien à envier à la mode profane. Voiles de bénédiction, antependia, nappes d'autel, corporaux et palliums ainsi que aubes, chasubles et étoles étaient abondamment ornés de dentelles.
Quant à la mode profane de la première moitié du XVIIIe siècle, elle était aux étoffes riches et brillantes, le plus souvent de couleurs claires et ornées parfois d'or et d'argent.
La dentelle s'harmonisait parfaitement avec ce fond. Lorsque le Prince de Conti épousa Mademoiselle de Blois, Louis XIV leur offrit en cadeau de mariage un set de toilette au point de France. Madame de Sévigné trouvait en 1674, que Mademoiselle de Blois était belle comme un ange, dans son tablier et sa bavette en point de France. Cette dentelle convenait également aux cravates d'hommes, aux manchettes et à la Frelange, une coiffure féminine faite d'une monture en laiton ornée de rubans en dentelle, mieux connue sous le nom de Fontange.
La mode de ces coiffures hautes était dictée par le désir d'ajouter quelques centimètres à sa taille et de faire contrepoids aux hautes perruques des hommes sous Louis XIV. L'histoire raconte que la mode en fut lancée par Mademoiselle de Fontanges, maîtresse de Louis XIV qui, au cours d'une partie de chasse, rattacha ses cheveux avec une jarretière en dentelle. On peut se permettre de douter de l'authenticité de cette thèse puisque la mode de cette coiffure ne fut introduite qu'après la mort en 1681 de Mlle de Fontanges.
Chez les femmes, le domaine par excellence de la dentelle était la coiffe et ses barbes dont le décor et la forme permettent la datation ; l'attribut le plus important chez les hommes était l'indispensable cravate.
La cravate de Steenkerke, qui date elle aussi de la fin du XVIIe siècle, faisait partie des vêtements masculins et féminins. Nouée souplement et passée à travers une boutonnière elle devait son nom à la Bataille de Steenkerke en 1692, entre les troupes françaises et celles du Prince d'Orange. Les Français, surpris par les Hollandais, n'eurent pas le temps de nouer convenablement leur cravate avant de se rendre au combat. Ils remportèrent la victoire et se couvrirent de gloire. Quelques années après la mort de Louis XIV en 1715, le costume se simplifia.
Dès le 26 octobre 1699, le Mercure Galant signalait l'apparition à la cour de dames "en coiffures d'une forme nouvelle, c'est à dire beaucoup plus basses" et la duchesse d'Orléans écrit dans une lettre que ce brusque changement est dû à Lady Sandwich, l'épouse de l'ambassadeur d'Angleterre, apparue avec une coiffure très basse. La simplicité et la nonchalance dicteront dorénavant la mode.
Le costume féminin comportait fréquemment des engageantes, sortes de manchettes évasées. Faites le plus souvent en mousseline, elles étaient bordées d'une étroite dentelle. Cette dernière pouvant servir à d'autres usages, on n'en a conservé que très peu. Vers 1720, les engageantes étaient portées doubles, mais vers le milieu du siècle on pouvait même en voir de trois ou quatre épaisseurs. Généralement, seul le volant le plus visible était en dentelle de prix.
Le décor des autres couches, qui donnaient à l'engageante son volume, était réduit au minimum. Vers la fin du XVIIe siècle, la dentelle fut souvent remplacée par de la gaze de soie qui, grâce à sa maille légère, fut très populaire vers le milieu du XVIIIe siècle. À la même époque, la mousseline brodée, qui utilisait les dessins de la dentelle, fit concurrence à celle-ci. On l'utilisait surtout dans les barbes.
Au tournant du siècle, la mode se désintéressa de la dentelle, mais les années 1730 furent marquées par un nouvelle essor qui dura jusqu'en 1770. Chez les souverains et les nobles, le goût du faste était sans bornes : lorsque la fille aînée de Louis XV épousa en 1739 le prince d'Espagne, les frais de son trousseau étaient tels que le cardinal Fleury croyait " que c'était pour marier toutes les sept Mesdames".
À la fin des années 1760 la mode féminine revient aux coiffures hautes, et la dentelle y joua un rôle important. Ces coiffures prirent des proportions exagérées, surtout à la cour de France vers 1770. On y ajouta des postiches, des rubans et des nœuds, des fleurs et d'autres matériaux, l'ensemble étant couronné d'un grand bonnet en gaze, en batiste et parfois en dentelle.
Mademoiselle Rose Bertin, Marchande de Modes de la Reine, était la coutumière parisienne la plus importante. Parmi ses clientes, Marie-Antoinette, mais aussi les reines d'Espagne et de Suède, les princesses de Luxembourg et de Nassau, les duchesses de Wûrtemberg et de Devonshire, la noblesse de Russie et de nombreuses personnalités européennes.
Ses comptes permettent de se faire une idée des toilettes et des dentelles portées par la haute société. La princesse russe de Baratinsky acheta en 1776 "1 aune de taffetas noir garni d'une dentelle plissée, 6 aunes de blonde commune pour les sabots" et en 1782 "Un grand manteau noir en bel entoilage de dentelle à dessin riche, la garniture en dentelle grande hauteur fond d'Angleterre, en pied plissé, au-dessus 3 rangs à plis à la coulisse" et "un second chapeau de paille jaune double de taffetas bleu et bordé d'une blonde fond d'Alençon des paquets d'œillets roses et rézéde une plume blanche et un ruban bleu. La dentelle d'Alençon n'était donc pas la seule appréciée à l'époque.
Les comptes de Madame Du Barry montrent que, vers la fin du XVIIIe siècle et vu la prédilection de Marie-Antoinette pour les étoffes légères et la dentelle, les blondes avaient beaucoup de succès et rivalisaient avec le point d'Angleterre. Ces types de dentelle, ainsi que les lourdes soieries lyonnaises, appartenaient aux trésors textiles de la cour, qui appréciaient de moins en moins les "dentelles d'hiver". Vers 1780, la robe était souvent recouverte d'une couche de gaze et complétée d'un châle de mousseline.
Sous le Directoire (1795-1799), la sobriété des robes n'autorisait qu'un minimum de dentelle. Seules les cours princières en intégraient encore dans les costumes pour les grandes occasions.
Au XVIIIe siècle, l'homme portait moins de dentelles que la femme. Alors qu'elle pouvait, dans ses coiffes, laisser libre cours à sa fantaisie, il donnait, surtout dans la seconde moitié du siècle, la préférence à la dentelle à l'aiguille. Les idées romantiques prenaient forme : la femme n'était plus l'image du luxe, mais un symbole de fragilité et de pureté. Il était donc normal que l'homme désirât s'en distancier par son vêtement. La dentelle aux fuseaux était en effet douce, souple et féminine, alors que la dentelle à l'aiguille donnait une impression de fermeté. On constate une nette récession dans l'industrie dentellière vers 1770. La baisse de production d'Alençon et d'Argentan tracassait Olivier de Saint-Vaast qui, en 1780, proposa à la reine Marie-Antoinette de faire un peu de publicité en portant au moins une fois par semaine de la dentelle.
La dentelle d'Alençon et d'Argentan au XIXe siècle
La fin du XVIIIe siècle signifia également la fin du mythe d'Alençon et d'Argentan. La concurrence avec d'autres dentelles et textiles comme la broderie sur mousseline, plus intéressante sur le plan économique, devenait pesante. La structure de la dentelle n'avait pour but que la transparence, le dessin lui étant subordonné. Il est clair que le déclin de la dentelle n'était pas dû à la Révolution, mais plutôt aux changements qui s'opéraient dans la mode. Les archives de la firme anversoise Van Lidth de Jeude, révèlent que la vente de dentelle ne baissa pas sous la Révolution mais que l'on signala des pillages dans les magasins de dentelles des correspondants français.
Au XIXe siècle, l'homme se devait de rendre hommage à la beauté de la femme et de se tenir à l'arrière-plan, d'où la simplification de son costume et la disparition progressive de la dentelle dont il ne conserva que le jabot et les manchettes. Il n'empêche qu'en 1800, Alençon comptait encore 24 commerçants ou fabricants sur les 80, ce qui est énorme par rapport aux autres centres dentelliers français qui, pour la plupart, n'avaient pas survécu à la crise.
Après la Révolution française, Napoléon Ier s'intéressa à la dentelle d'Alençon et lui donna un caractère aristocratique. Sous la monarchie, on ne pouvait se présenter à la cour sans dentelles. Le consulat supprima cette obligation, décevant ainsi les producteurs. Lors de son couronnement, Napoléon portait un jabot en Alençon, réalisé par la firme Beuvry & Cie et visible dans le tableau intitulé Le Sacre conservé à Versailles, œuvre de J. Louis David qui a immortalisé l'évènement. Si la dentelle de prestige a survécu, c'est grâce aux commandes impériales. Napoléon Ier fit réaliser par la firme Clérambault une garniture comprenant un ciel de lit et des volants pour l'impératrice Joséphine. Le décor, constituait d'abeilles impériales et de couronnes, devait porter les initiales de Joséphine. Les pièces à peine terminées, le couple impérial se sépara, de sorte que les initiales de Joséphine durent être remplacées en vitesse par celles de la nouvelle impératrice Marie-Louise.
En 1811, Napoléon et Marie-Louise furent reçus à la mairie d'Alençon où Madame Clérambault et ses dentellières firent une démonstration de leur art. Elles reçurent diverses commandes. Alençon n'allait profiter que fort peu de temps de la bienveillance impériale.
Le baron Mercier intervint en 1830 pour donner à la production d'Alençon un nouvel élan en appliquant des motifs en Alençon sur du tulle mécanique. L'initiative ne connut pas le succès espéré. Au cours du XIXe siècle, on organisa à Paris diverses expositions avec distribution de prix. Alençon y récolta régulièrement des lauriers. Au XIXe siècle, Alençon et Argentan furent invités par de grands marchands de dentelle à réaliser des pièces d'apparat. Il semble que, lors de l'exposition universelle de Londres en 1851, seule la dentelle belge ait pu se mesurer à la dentelle d'Alençon.
Cette dernière ne fut plus seulement faite dans la ville même, mais aussi par la maison Lefébure de Bayeux. Sous le Second Empire, Napoléon III et l'impératrice Eugenie s'intéressèrent particulièrement à ce type de dentelle. Leurs commandes personnelles donnèrent une nouvelle impulsion à l'industrie alençonnaise.
La Compagnie des Indes, une firme internationale de grande renommée qui avait d'abord négocié les châles du Cachemire, vendit à partir de 1851 des châles en application de Bruxelles et en Alençon. Plusieurs écoles furent fondées aux environs d'Alençon. On voulait y perfectionner la technique de l'ombre réaliste qui donnerait du volume aux motifs. À cette époque, l'incroyable richesse du décor de la dentelle d'Alençon en occupait toute la surface le fond étant devenu secondaire. Comparée à celle du siècle précédent, la dentelle était donc très délicate et fragile, puisque les motifs étaient lourds par rapport au fond léger.
A partir de 1830, la plupart des dentelles se firent en coton. Bon nombre de fabricants d'Alençon s'en tinrent cependant au fil de lin, d'autres n'utilisant le coton que pour le fond et les remplissages. Durant tout le XIXe siècle et au début du XXe siècle, cette dentelle fut également réalisée en Belgique, comme en témoignent les mentions obtenues à l'exposition des produits industriels belges organisés à Bruxelles en 1847, et où la gantoise Charlotte Reynaert exposa de superbes dentelles en Alençon. Une firme bruxelloise présenta de la dentelle d'Alençon à l'exposition de 1880.
À l'époque napoléonienne, on exécuta, aussi de grandes pièces picturales en dentelle à l'aiguille française, entre autres des scènes allégoriques réalisées par la firme Mercier d'Alençon et présentées lors d'expositions industrielles au début du siècle.
Autres centres de dentelle à l'aiguille en France
Sedan
Sedan possédait déjà vers 1577 une industrie passementière qui y aurait été introduite par des réfugiés calvinistes. La dentelle à l'aiguille s'y était également développée, et, dans la première moitié du XVIIe siècle, elle était presque aussi importante que celle d'Alençon. De 1665 à 1675, on y trouvait aussi une manufacture royale à laquelle Louis XIV s'intéressait. On ne sait pourtant que fort peu de chose sur sa production dentellière.
Deux dentellières vénitiennes et vingt flamandes y travaillaient, ce qui indique qu'on y faisait aussi bien de la dentelle aux fuseaux que de la dentelle à l'aiguille. Des villes comme Mézières, Château-Renaud, Charleville et Donchery en fabriquaient également, allant de la fine dentelle à l'aiguille à la simple dentelle aux fuseaux, qu'elles vendaient entre autres à Paris, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Pologne et en Angleterre.
Ces villes se spécialisèrent en engrêlures, étroites bandes réalisées aux fuseaux que l'on fixait à la partie supérieure des dentelles aux fuseaux ou à l'aiguille proprement dite, ce qui permettait de coudre celles-ci au tissu.
La ville de Sedan fabriquait elle-même un fil de lin d'une qualité exceptionnelle. Mais ayant réalisé d'énormes quantités de dentelle au début du XVIIIe siècle, sa production de fil devint insuffisante et elle dut faire appel au fil des Pays-Bas. Cette importation ne se faisait pas sans difficultés, les échanges commerciaux étant entravés par une interdiction d'importation de produits étrangers. Dans une pétition de mars 1709, proposée par Marie Pailla, "marchande de Points à Sedan", l'intéressée demandait l'autorisation d'importer de Hollande "dix tonneaux de fils, rubans de fil et tissu pour continuer le travail des manufactures de Points dans les lieux de Sedan, Mézières, Charleville, Donchery et autre lieux". La pénurie de matières premières fut à l'origine de la baisse de production.
Le genre de dentelle que l'on peut considérer comme le point de Sedan typique ne s'est développé qu'au deuxième quart du XVIIIe siècle, vers les années 1730-1740. C'est en quelque sorte une variante du point de France, différente par son caractère du point d'Alençon, ce qui n'a rien d'étonnant vu la situation géographique de la ville, proche de la frontière qui la sépare de la Flandre. Le décor de cette dentelle était donc fortement influencé par les patrons plus lourds mais aussi par les nuances délicates propres à la dentelle aux fuseaux flamande et plus particulièrement bruxelloise, qui se traduisaient, dans le mat, par une riche variété de fonds d'ornement en dentelle à l'aiguille. On utilisait souvent des patrons de la fin du baroque, leurs grands motifs, leurs vases et leurs fleurs monumentales en forme de pomme de pin et d'ananas.
La symétrie n'était pas absolue, l'aspect était changeant. Cette dentelle a ceci de caractéristique que ses motifs n'étaient pas tous entourés d'un relief mais seulement ceux qui s'y prêtaient. On accentuait ainsi fortement certaines lignes du dessin. Le fond était souvent assez maigre et présentait de grandes mailles hexagonales picotées comme dans le point de France d'Alençon.
La fin du XVIIIe siècle vit disparaître la production de ces dentelles luxueuses dont les décors somptueux traduisaient le style Louis XIV et surtout le style Régence. Sous Louis XV on assista à un certain déclin, sous Louis XVI la dentelle de Sedan était complètement passée de mode. Marie-Antoinette préférait des dentelles plus légères comme on en faisait alors à Alençon.
Bayeux et le point Colbert
Dans le couvent des Sœurs de la S. Providence, on faisait déjà de la dentelle à la fin du XVIIe siècle. Ce n'est toutefois qu'à partir du XIXe siècle qu'on peut parler d'industrie. C'est sous l'impulsion d'une certaine Madame Charpentier que fut fondé, en 1827, un atelier destiné à la fabrication de blonde en soie à usage français. L'affaire fut reprise en 1829, par Auguste Lefébure qui devint une des figures marquantes de l'industrie dentellière française du XIXe siècle. Sa firme ne se spécialisa pas seulement en Chantilly ou blonde.
Il prit en main également, au début des années 1850 et aidé des trois sœurs Bernard, une production considérable de dentelle à l'aiguille. Les trois sœurs avaient travaillé pour une quatrième, Madame Hubert, qui avait exposé à l'exposition de Londres en 1851 des fleurs tridimensionnelles en dentelle à l'aiguille pour lesquelles elle avait obtenu un brevet.
Lefébure acheta le brevet et se servit de la compétence des trois sœurs qu'il avait embauchées. Elles réalisèrent des copies du gros point de Venise, mais agrémentaient néanmoins leurs œuvres de touches personnelles. C'est ainsi que les feuillages étaient exécutés au moyen de chevauchements - éléments très rares dans la dentelle de Venise originale - que les points de dentelle à l'aiguille étaient plus espacés et que les lisières étaient faites de fils épais et de picots.
Monsieur Lefébure appela cette dentelle le point Colbert. L'engouement pour la dentelle à l'aiguille lourde avait mis la dentelle de Venise à la mode, d'où le succès du point Colbert. Le dessinateur Alcide Roussel était l'auteur de plusieurs élégants projets de dentelles. La perfection technique caractérise la dentelle de Bayeux de la seconde moitié du XIXe et du début du XXe siècle, réalisée le plus souvent en coton. La firme Lefébure n'était pas seulement célèbre pour sa dentelle à l'aiguille inspirée de la dentelle de Venise : on y faisait aussi, et avec succès, de la dentelle d'Alençon, ainsi qu'une dentelle à l'aiguille, moitié point de gaze bruxellois, moitié Alençon. Mrs Neville Jackson écrivait en 1900 que "at present the finest modern Alençon Point is made at Bayeux, and at the Royal factory, near Venice".
La dentelle aux fuseaux en France
Dentelles de soie, d'or, et d'argent jusqu'eu 1750
La France, nous l'avons dit, a connu une production importante de passements d'or, d'argent, de soie, plus particulièrement dans des centres comme Aurillac, Lyon, Paris, et Le Puy. Celle-ci ne s'arrêta pas à l'apparition de la dentelle de fil puisque la passementerie a continué, à travers l'histoire, à agrémenter les vêtements des souverains et souveraines. Le Mercure Galant, une gazette parisienne, signalait en 1678 que les classes aisées portaient des toilettes réhaussées de "point d'Aurillac d'or et d'argent d'une riche valeur". La même gazette relatait en 1679 l'arrivée à un bal masqué du prince de Conti, revêtu d'un manteau en point d'Aurillac d'or et d'argent, et celle de la duchesse de Mortert portant un voile de dentelle d'argent d'Aurillac.
On pouvait y lire en 1680 que la broderie sur les manteaux avait été remplacée par le point d'Espagne en or, et qu'en 1698 la duchesse de Bourgogne était apparue dans une robe de dentelle d'argent. Après la révocation de l'Edit de Nantes (1685) bon nombre de dentellières protestantes fuirent Aurillac et d'autres villes et fondèrent avec succès des centres de dentelle d'or et d'argent un peu partout en Europe, entre autres en Hollande, mais aussi à Genève et à Hambourg. Une lettre adressée en 1699 au contrôleur M. de Vaubourg, intendant en Auvergne, relate que "la fabrication des Points d'Aurillac semble avoir beaucoup souffert de l'émigration des religionnaires du Languedoc et de la Guyenne", mais surtout que "la Manufacture des Points de fil de France d'Aurillac qui comptait jusqu'à 5 et 6000 ouvriers est tombée depuis que la mode des points a cessé à la cour, et, par la suite, dans les pays étrangers".
La situation alarmante de l'industrie dentellière en 1704 ressort du texte suivant : "ce commerce étant tombé... l'ouvrière ne gagne pas un sol par jour, et dont le nombre a été autrefois 8000, de quitter des ouvrages, et cette cessation a contribué à la ruine de cette partie de Province. Le même malaise touchait la production de guipure aux environs de Paris, puisque, comme l'écrivait Savary," il en consommoit autrefois une quantité prodigieuse dans le royaume ; mais depuis que la mode est passée en France, n'y ayant à présent que les Paysannes qui en portent, elles s'envoyent presque toutes en Espagne, en Portugal, en Allemagne, et dans les Indes Espagnoles, ou elles sont fort en usage.
Pendant toute la seconde moitié du XVIIe siècle, la dentelle de soie noire fut très populaire. Elle était portée en même temps que les grands cols de dentelle blanche par les hommes comme par les femmes, et souvent sous forme de bandes bordant le bas de la culotte ou ornant le corsage. La dentelle de soie noire la plus fine était produite au Pays-Bas. La France exportait cependant massivement vers l'Espagne, le Portugal, l'Amérique latine, l'Allemagne et la Hollande une dentelle fabriquée essentiellement à Amiens et en Flandre française. L'Espagne importait également beaucoup de dentelle noire des Pays-Bas espagnols via la France.
Au XVIIIe siècle, la dentelle noire n'était plus portée que par la population rurale ou exportée vers l'Amérique, alors que la dentelle métallique s'utilisait toujours, quoique en une moindre mesure qu'au XVIIe siècle, dans les toilettes à la mode, et dans les costumes de cérémonie. La fine dentelle à fond de réseau convenait aux extravagances vestimentaires de la noblesse et de la bourgeoisie. Des archives de 1732 décrivent la garde-robe du duc de Penthièvre : "un bord de point d'Espagne d'or de Pari, à fonds de réseau".
Lors du mariage en 1740 de la princesse anglaise Mary, son trousseau comportait une robe "of silver tissue face and doubled with silver point d'Espagne". De nombreux navires furent interceptés en mer pendant les guerres franco-anglaises. The Gentleman's magazine fait état de l'abordage de l'Eagle : " very heavy laden with all sorts of rich goods, worth L 150000 from St. Maloes for Cadiz, and thence to the S. Sea" ; le cargo contenait également "several chest of gold and silver lace".
Les centres de dentelles aux fuseaux et la dentelle de lin blanc
Dans l'ensemble, les tentatives faites par Colbert pour perfectionner la dentelle de Bruxelles aux fuseaux dans les manufactures ne portèrent pas beaucoup de fruits. Peut-être était-ce dû au fait que, même avant l'instauration des manufactures, la production de cette dentelle était peu importante. Seul Villiers-le-Bel, en Ile-de-France, a créé, pendant très peu de temps (1686-1690), de la dentelle de Malines et du point d'Angleterre de très belle qualité. L'entreprise de Colbert toucha moins durement la production flamande que la vénitienne.
La France du XVIIIe siècle avait manifestement besoin de dentelles flamandes. L'Angleterre bruxellois, les dentelles de Malines, de Binche, et les dentelles de Flandre réalisées à Anvers ou à Bruges, purent à nouveau être importées sans difficulté, moyennant toutefois de lourdes taxes. Tous les centres français qui travaillaient la dentelle de soie, d'argent ou d'or se mirent donc à la dentelle de fil.
Ceux qui se spécialisèrent dans la dentelle aux fuseaux en lin blanc étaient situés essentiellement en Flandre française, en Normandie et en Auvergne.
La Dentelle du Puy-en-Velay et de ses environs
Le Puy, capitale du Velay, a été de toute temps un centre dentellier célèbre. Des chroniques du XVIe siècle la concernant font allusion aux marchandes de textiles "qui, suivant l'usage faisaient dans notre ville le commerce de passementeries, broderies, dentelles, etc... comptaient alors quarante boutiques, et qu'ils figurent avec enseignes et torches au premier rang dans les solennités religieuses".
À partir du XVIIe siècle, et peut-être même plus tôt, Velay importait de Haarlem du fil de lin, et certaines archives décrivent le chemin qu'il mettait 3 mois à parcourir via Bois-le-Duc, Aix-la-Chapelle, Sedan et Lyon avant d'arriver à destination. Un sort identique attendait la dentelle achevée : malgré les taxes imposées par l'Etat français, l'exportation du Puy était florissante et se faisait via la Hollande, la Flandre, les ports du Nord de la France et l'Angleterre. La dentelle n'était pas d'une finesse extrême, mais suffisamment décorative pour servir à l'achèvement du linge ou aux fraises. Elle était exportée en grandes quantités vers les Indes espagnoles via Cadix et Marseille.
Le Puy eut à souffrir des édits somptuaires. Un jésuite, le Père Jean-François Régis (1597-1640), essaya de sauver la dentelle et les dentellières de la ruine. Grâce à lui, de nouvelles routes s'ouvrirent à l'exportation vers l'Espagne et l'Amérique. Ces marchés étaient très importants pour l'avenir. Jean-François Régis a été canonisé et est devenu le saint patron des dentellières. Les affaires marchèrent bien au Puy jusqu'au début du XVIIIe siècle.
Le déclin de l'industrie dentellière dans la région sera dû entre autres à la forte concurrence italienne et surtout flamande. Afin de pouvoir garder la tête hors de l'eau, les marchands de dentelle demandèrent en 1707 d'être exemptés du paiement des taxes sur la dentelle du "diocèse du Puy, de Vélay et de l'Auvergne, dont il se faisait un commerce très considérable dans les pays étrangers, par les ports de Bordeaux, La Rochelle et Nantes...".
Vers 1740, la dentelle de Velay ne parvint plus à rivaliser avec les dentelles étrangères : les destinataires avaient des goûts plus raffinés et désiraient surtout de la dentelle flamande. Voulant s'adapter à ce marché, Le Puy fit une dentelle qui ressemblait à celle que l'on faisait en Flandre et plus précisément à Anvers.
Les marchands de dentelle du Puy achetaient d'ailleurs aux Pays-Bas la dentelle qui devait leur servir de modèle. Pendant tout le XVIIIe siècle et surtout au cours de sa seconde moitié, l'Espagne et les colonies furent très friandes de dentelle française bon marché, mais celle-ci subit la concurrence de l'Italie et de l'Espagne elle-même, ce qui toucha l'industrie dentellière du Puy. Vers le milieu du XVIIIe siècle, cette dernière se reconvertit heureusement dans la fabrication de dentelles de soie, très à la mode à l'époque : " des dentelles de soies blanches et noires appelées blondes". Voici un extrait d'un rapport datant de 1777 et émanant de M. Fages, commissaire royal " Le commerce des dentelles fil blanc avait été, pendant un temps considérable la principale banche du commerce de la ville de Puy. Elle s'étendait jusque dans l'Amérique : mais cette partie est presque totalement déchue, soit par des nouveaux établissements en Italie et en Espagne".
Et l'abbé Laurent écrivait en 1787: "Le commerce y était autrefois bien plus considérable pour les dentelles de fil qu'on expédiait pour l'Amérique, actuellement il consiste principalement en blondes et occupe 25000 ouvrières".
Au XIXe siècle, Le Puy et ses environs connurent un nouvel essor. La manufacture du Puy fut réorganisée par Théodore Falcon, un créateur de dentelles qui donna aux dessins une nouvelle jeunesse. Il fonda en 1830 le centre dentellier de Craponne. Le Puy s'attela à la réalisation de guipure aux fuseaux pour les parures vestimentaires. Selon la toilette avec laquelle elle devait s'harmoniser, la guipure était exécutée en soie noire ou de couleur, mais aussi en angora, en laine ou en poil de chèvre, et même parfois parsemé de paillettes. On entend par guipure la dentelle fleurie réhaussée d'une multitude de points d'esprit. Le Puy expédiait des échantillons à Madagascar et en Chine car c'est là qu'on exécutait les dentelles.
En 1847, 5000 femmes du Puy faisaient de la Valenciennes, car celle-ci se vendait très bien. La ville était célèbre aussi pour sa dentelle au torchon, mais surtout pour sa dentelle de Cluny. Le Cluny du XIXe siècle se reconnaît à la qualité de son exécution, celui du XXe étant généralement moins délicat. Le nom de guipure de Cluny, nom fantaisiste semble-t-il, lui vient de sa ressemblance avec la dentelle du XVIIe siècle qui était exposée au Musée de Cluny à Paris.
La région faisait également du torchon, une variante du Cluny qui donne plus d'importance au mat et comporte un fond de réseau aux fuseaux. Cette dentelle était surtout la spécialité de la ville voisine de Craponne.
Dentelle de Mirecourt
En Lorraine, la dentelle connaissait un certain succès depuis le XVIIe siècle, mais il s'agissait de bordures en chanvre assez lourdes dont les femmes de la campagne faisaient une activité domestique. A la même époque, on se consacrait également à la fabrication de dentelles plus fines selon des patrons plus variés. Au XVIIIe siècle, la qualité s'améliora nettement grâce à une meilleure organisation. La production s'exporta vers l'Espagne et l'Inde, la Hollande, l'Angleterre et les territoires allemands.
En 1766, Mirecourt comptait 800 dentellières. À partir de 1847, on y fit du fleuri pour l'application et aussi de la blonde de soie et de la dentelle au lacet pour l'exportation vers l'Espagne. L'industrie dentellière lorrain eut beaucoup de succès. En 1869, 20 marchands y achetaient la production de 25000 dentellières.
Séguin raconte dans La dentelle (1875) que les pièces, et plus particulièrement les motifs d'application, étaient d'une grande qualité technique et que leur caractère propre évitait de les confondre avec les ouvrages belges. Dans le courant de la seconde moitié du XIXe siècle, Mirecourt passa au Cluny et à la dentelle au torchon. Sa guipure blanche était caractéristique, avec ses grands motifs floraux cernés d'un fil ornemental épais.
La dentelle de Mirecourt avait bonne réputation, tout comme la dentelle aux fuseaux de Vittel, également dans les Vosges, destinée principalement aux vacanciers. Mirecourt fabriquait aussi une imitation plutôt grossière de duchesse bruxelloise ou brugeoise.
Dentelle de Valenciennes
Les Débuts d'une dentelle française de renom
C'est uniquement sur base des frontières actuelles que cette dentelle est classée parmi les dentelles françaises. La Valenciennes peut cependant être considérée comme la dentelle flamande par excellence, puisque son lieu de naissance et de développement appartenait aux Pays-Bas espagnols. La ville devient française par le Traité de Nimègue en 1678 mais garda encore longtemps le souvenir de son appartenance à la culture flamande.
Sa dentelle et les industries annexes devaient leur essor, au début du XVIIe siècle, à la proximité des champs de lin de la vallée de la Scarpe.
La Valenciennes de la fin du XVIIe et même du début du XVIIIe siècle ne différait que très peu des premières dentelles de Flandre ou de Binche : elle en avait l'extrême finesse et en reproduisait les réseaux d'ornement comme le fond de Flandre et le fond de neige. Signalons, car c'est important, la proximité de villes comme Arras, Bruxelles, et Anvers, avec lesquelles Valenciennes entretenait des rapports commerciaux et qui avaient elles aussi produit de la dentelle.
L'histoire de ce type de dentelle est indissociable de celle de Françoise Badar (1624-1677), une jeune Valenciennoise venue à Anvers via Malines pour y apprendre à faire du commerce. Pendant son séjour, de 1638 ) 1644, elle découvrit l'art de la dentelle. Rentrée à Valenciennes avec six Flamandes, elle fonda un atelier de dentelle et prodigua à la pratique de cet art les les encouragements nécessaires. Au cours de son séjour anversois elle n'avait pas seulement appris la technique de la dentelle aux fuseaux, mais apparemment aussi celle de la dentelle à l'aiguille. Certaines archives attestent d'ailleurs qu'elle enseigna à une certaine Marie Wery la technique du point de Venise apprise à Anvers. En 1661, elle fonda à Valenciennes la communauté religieuse de la Sainte-Famille ou Badariennes. Colbert la chargea de la gestion de plusieurs Manufactures Royales dont celles du Quesnoy, d'Arras et de Reims. Françoise Badar mourut en 1677, l'année de la prise de Valenciennes par l'armée de Louis XIV.
À la fin du XVIIe siècle, une délégation de Badariennes s'établit à Ath. Les sœurs y enseignaient entre autres la dentelle. Leur influence se répandit sur la Flandre et on pense que des élèves de Françoise Badar introduisirent aussi à Ypres l'art de la dentelle aux fuseaux, puisque cette ville enregistrait, en 1684, 3 marchands de dentelles et 63 dentellières.
Caractères propres, dessins et évolution de la dentelle de Valenciennes tout au long du XVIIIe siècle
À leurs débuts les dentelles d'Anvers, Malines, Valenciennes et Binche se ressemblaient fort. Il fallut attendre la deuxième décade du XVIIIe siècle pour distinguer la Valenciennes des autres dentelles. À la fin du XVIIe siècle apparut la maille typique, un fond à brides dont la maille, en un premier temps, était ronde. La maille carrée n'est apparue que vers 1740 et est mentionnée pour la première fois à l'occasion de l'envoi par un marchand, M. Dorgeville, de "sept aunes de dentelles Valenciennes à treilles" à M. Malon d'Angreau.
Ce terme ne figurait pas dans les rapports antérieurs. Le mat était travaillé aux fuseaux au point de toile serré. Un anneau entourant les motifs en définissait nettement le tracé sur un fond uni et léger. Les motifs n'étaient jamais cernés d'un bourdon comme dans la dentelle de Malines : la Valenciennes était une dentelle plane. Toujours au XVIIIe siècle, on intégrait parfois à la dentelle des réseaux d'ornement comme diverses formes de fonds de neige que l'on retrouve également dans d'autres dentelles flamandes.
François-Joseph Tribout, célèbre fabricant de dentelles de Valenciennes, expédia à Bruxelles en janvier 1762 "des manchettes d'homme à fonds doubles et de manchettes de femme à fond de neige". En 1762, le Journal de Commerce de Bruxelles faisait l'éloge de la dentelle : "on ne saurait exprimer le degré de perfection auquel les dentelles de Valenciennes sont parvenues, ni la beauté et le goût qu'on donne à leurs dessins".
En 1751, F.J. Tribout commanda à Dutrieu, un des dessinateurs bruxellois les plus importants, "deux dessins de manchettes d'homme avec leurs jabots, des dernières hauteurs et plus nouveau goût". La Valenciennes typique était, tout comme la dentelle de Malines, une dentelle rococo, mais elle conservait son charme quel que soit le style.
Ce qui la caractérise c'est sa fragilité : elle semble faite pour la palpation autant que pour la vue, car elle est très douce au toucher. Pour le décor, les dessinateurs s'inspiraient des soieries françaises. Les styles de cette dentelle évoluèrent comme ceux des dentelles décrites précédemment.
Vers la fin du siècle, on réduisit les motifs qu'on plaça le plus souvent le long des bords, et on remplit l'espace d'un fond égal et d'un semis. Sur les conseils de son père, Claire Tribout apprit, vers 1770, le métier de dessinateur de dentelles chez le dessinateur Decoster à Bruxelles. Parlant d'une paire de manchettes, Madame Tribout écrit : "J'espère, Monsieur, que vous la trouverez parfaite et d'un beau dessin car c' est ma fille qui l'a dessinée étant à Bruxelles". Ayant repris la firme, Claire Tribout expliqua en 1791 à un client d'Aire-en-Artois comment il se faisait que, à l'instar des autres fabricants de dentelles valenciennois, elle ne voulait pas vendre de dessins : "nous sommes jaloux au point que dans ce qu'on appelle Valenciennes chaque marchant a des dessins qui lui sont particuliers et qu'ile ne communique point.
La vraie Valenciennes, réalisée intra muros avait, paraît-il, plus de valeur que l'autre. Il s'agissait en fait de visées commerciales - on désirait empêcher les fabricants hors les murs de faire de la Valenciennes - mais aussi de la qualité du fil de lin qui, grâce à l'atmosphère humide de la vallée de la Scarpe, avait une finesse et une blancheur exceptionnelles. Afin de garantir la qualité de leur dentelle, les fabricants intra muros la réalisèrent souvent dans des caves humides et à l'abri du soleil.
En 1755, M.Korps, un des agents de la firme Tribout réexpédia des pièces depuis Liège parce qu'elles n'étaient pas de la vraie Valenciennes. L'année suivante, M. Tribout fit savoir à M. de Bouzoncourt que les deux jabots qu'il avait expédiés étaient en vraie Valenciennes. Il fut moins scrupuleux dans d'autres circonstances puisque les archives de la firme montrent qu'il lui arrivait de vendre pour de la vraie Valenciennes de la dentelle faite à Armentières et à Lille.
L'extrême finesse du fil faisait de la Valenciennes du XVIIIe siècle un travail de longue haleine, ce qui n'était pas sans répercussion sur le prix de vente. L'emploi de 800 fuseaux pour une bande de dentelle de 10cm de large n'était pas exceptionnel. En 1787, Claire Tribout écrivait à un client : " il faut une année pour faire une paire de manchettes". La bourgeoisie utilisait la Valenciennes pour la décoration des vêtements, les barbes et les jolies engageantes, qui vers le milieu du siècle, comportaient deux ou trois volants.
La structure de la Valenciennes était telle qu'on ne pouvait la faire qu'en bandes étroites. Aussi les volants des engageantes étaient-ils montés sur tulle. C'est probablement le cas dans le portrait de Madame Nonnotte, peint par Donat Nonnote en 1758 (Besançon, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie). Les comptes de Madame du Barry (1770) nous apprennent que cette dentelle agrémentait également la lingerie et la literie : " 7 aunes de vraie Valenciennes [...] pour garnier une taie d'oreiller".
À partir du troisième quart du XVIIIe siècle, on ajouta des fils au mat pour accentuer le contraste entre les motifs et le fond, et on y introduisit le grillé pour obtenir un effet plus nuancé.
Les hauts et les bas de l'industrie dentellière de Valenciennes
Des rapports de la fin du XVIIe siècle témoignent des efforts accomplis par la municipalité de Valenciennes pour venir en aide à l'industrie domestique. Des circonstances moins favorables réduisirent de façon draconienne le nombre de dentellières. Dans les années 1720, la demande de Valenciennes s'étant accrue, on eut du mal à trouver des ouvrières qualifiées. Malgré la fondation, par le prévôt Maloteau de Villerode en 1722, d'un atelier d'apprentissage pour jeunes filles pauvres, l'intendant, M. de Séchelles, confirma comme suit la situation : " la manufacture des dentelles était fort tombée à cause de la difficulté que l'on éprouvait de trouver des ouvrières expertes en ce genre de travail qui exigeait un talent tout particulier".
Selon les rapports des impôts, il semble en effet qu'il n'y avait plus, en 1725, que 5 fabricants et 21 maîtresses de dentelle. Une des causes principales de cette baisse était le manque de fil de lin. La production locale ne suffisant plus, il fallait importer le fil des Pays-Bas et l'expédier ensuite à Anvers ou en Hollande pour le faire blanchir. Chacune de ces transactions était soumise à une taxe. La concurrence avec le point de France, qui s'était fortement propagé, contribua au déclin de cette dentelle spécifique.
La Valencienne allait pourtant se maintenir, grâce à l'aide de particuliers et à l'initiative prise en vue du blanchiment du fil aux Pays-Bas plutôt qu'en dehors des frontières. En 1734, on comptait à nouveau 14 fabricants et 25 maîtresses de dentelle, ce qui permettait au moins une reprise temporaire.
Peu à peu des fabricants de fil vinrent s'établir à Valenciennes. Un des plus importants, Jean-Baptiste Comtesse, vint de Douai en 1763. Son fil, fait de lin cultivé à Cambrai, Voulpaix, Ruesmes, Fontaine-au-Bois et Douai, était d'une qualité telle qu'il n'en livrait pas seulement à Valenciennes mais aussi à Alençon, Dieppe, Eu, Lille et d'autres villes françaises et flamandes, et même en Angleterre.
Lord Gordon, en visite à Bruxelles en 1787, avait bien l'intention de ramener de la fine dentelle pour la faire copier en Ecosse. Lorsqu'il réalisa qu'il lui serait impossible de se procurer du fil d'une telle finesse, il renonça à son projet : " The thread is of so exquisite a fineness that they cannot make it in this country. It is brought from Cambrai and Valenciennes in French Flanders".
Pendant tout le XVIIIe siècle et jusqu'à la Révolution française, la demande de dentelles fut très forte, même de la part de la France. L'intérêt porté par les pays étrangers favorisait l'exportation qui se pratiquait vers divers pays d'Europe occidentale, les Indes occidentales et l'Amérique latine. Cet intérêt faiblit au cours du dernier quart du XVIIIe siècle à cause, entre autres, du prix d u fil et de la situation politique et économique lamentable de la France. La décadence était due en grande partie à la concurrence de Lille, d'Arras et de Bruxelles, dont les dentelles étaient moins longues à faire et donc moins chères.
En 1760, Valenciennes comptait encore 4000 dentellières. Il en restait 2000 en 1778 et 1000 en 1789. Le chiffre d'affaires de la firme de Mlle Tribout, la fabricante de dentelles la plus importante de Valenciennes, passa de 127000 livres en 1778 à 74000 en 1787. Cette dame écrivait en 1788 : "le commerce est mort et les rentrées de fonds dures." Elle déplorait en 1793 que " nos grandes dentelles et nos manchettes d'homme ne se vendent plus depuis trois ans".
Elle constatait aussi que les riches, qui avaient souffert sous la Révolution, vivaient donc plus sobrement et achetaient des dentelles moins coûteuses. La ville de Valenciennes, située à proximité de la frontière avec les Pays-Bas autrichiens, eut fort à souffrir de la guerre franco-autrichienne". Elle fut assiégée pendant 43 jours en 1793 et une nouvelle fois en 1795. Nombreuses furent les dentellières et les marchands, dont Mlle Tribout, qui la quittèrent.
Sous le consulat, on porta encore d'anciennes Valenciennes mais la production était à l'agonie. Napoléon Ier protégea toutefois l'industrie dentellière et voulut faire revivre celle de Valenciennes en accordant des primes à la fondation d'écoles et à l'organisation de concours. L'aide apportée fut bénéfique mais lorsqu'elle fut supprimée, l'industrie dentellière valenciennoise sombra. Plusieurs démarches furent entreprises au cours du XIXe siècle pour la sauver de la ruine, mais sans succès. La Valenciennes était prise à la gorge par la dentelle mécanique, l'imitation n'étant à première vue pas distinguable de la dentelle faite main.
La dentelle de Valenciennes à Bailleul
Bailleul faisait de la dentelle depuis le XVIIe siècle. La ville ayant une origine flamande, les noms techniques et folkloriques caractérisant les particularités de la dentelle aux fuseaux étaient donc flamands eux aussi. En 1664, une certaine Anne Swynghedauw y fonda une école. Au XVIIIe siècle, Bailleul se spécialisa en Valenciennes à maille ronde. Sa dentelle était connue sous le nom de fausse Valenciennes, différant de la vraie par son fil plus épais et son dessin moins net et moins marqué. Cette production allait de pair avec celle de la dentelle au torchon. Bailleul faisait d'étroites bandes de dentelle pour le marché normand.
La Révolution française n'ayant pas eu de réel retentissement sur cette industrie, celle-ci florissait encore au XIXe siècle. L'enseignement se développa et diverses écoles privées furent fondées par des fabricants de dentelles. Bailleul comptait environs 2500 dentellières en 1830, 8000 en 1851 et près de 10000 en 1862. En 1919, juste après la guerre, on créa le Retour au foyer dans le but d'introduire la dentelle dans le circuit commercial et d'offrir ainsi un salaire aux dentellières. L'association créa également des écoles dans les villages avoisinants.
Dentelle Point de Paris
Les environs de Paris étaient très importants pour la production de dentelles aux fuseaux. Paris lui-même, Louvres, Gisors, Villiers-le-Bel, Montmorency et d'autres figurent déjà dans les documents du XVIIe siècle qui mentionnent également les sommes énormes consacrées à la dentelle flamande. Voulant mettre fin à cette situation, le roi publia un édit en 1633 : " Pour empescher icelle despence, il y a toute l'isle de France et autres lieux qui sont remplis de plus de dix mille familles dans lesquels les enfants de l'un et l'autre sexe, dès l'âge de dix ans ne sont instruits qu'à la manufacture desdits ouvrages, dont il s'en trouve s'aussi beaux et bien faits que ceux des étrangers ; les Espagnols, qui le savent, ne s'en fournissent ailleurs".
Les fuseaux d'Ile-de-France réalisaient du point de Paris, de la mignonette, de la bisette ainsi que d'étroites bandes de dentelle ; ceux de St Denis, d'Ecouen et de Groslay une guipure plutôt banale. Près de Paris, on faisait au XVIIIe siècle des dentelles de soie noire et de fil blanc dans le genre des passements de Gênes. Le 19 juillet 1725, Mathieu Guyard demanda au roi un prêt de 20000L. comme fond de roulement pour sa fabrique : "marchand, mercier et fabricant de points et de Dentelles contenant que ses ancêtres et lui font fabriquer depuis plus de cent ans dans les environs de Paris des dentelles de soie noire et de fil blanc, aux quelles il a donné tant de perfection depuis le voyage qu'il a fait à Gênes en l'année 1705 par ordre de Sa Majesté".
Savary écrit en 1726 qu'une Manufacture de Point de France a été créée au Château de Madrid et qu'on y réalise une dentelle aux fuseaux d'une grande finesse, dans le style du point d'Angleterre. Le point de Paris lui-même est un type de dentelle à fils continus qui se caractérise par une maille hexagonale formée du croisement de deux triangles équilatéraux. Le mat, réalisé au point de toile, est cerné d'un cordonnet. On ne possède que fort peu de documents concernant l'histoire du point de Paris. Nous savons pourtant que le réseau au point de Paris est à la base du Chantilly, d'où le nom de fond chant donné à la dentelle de Paris. On trouve ce réseau dans diverses pièces en dentelle de Flandre du XVIIe siècle.
Il s'est maintenu à travers toute l'histoire comme réseau d'ornement dans la dentelle de Binche. La production du point de Paris se fit ensuite à Turnhout où elle fut introduite dans le courant du XVIIIe siècle.
Lille et sa dentelle
L'industrie dentellière de la ville de Lille
Comme Valenciennes, Lille appartenait aux Pays-Bas méridionaux et ne fut annexée à la France qu'en 1668 par le Traité d'Aix-la-Chapelle, et comme dans les autres villes flamandes, on y avait de tout temps fait de la dentelle à fils continus. Les dentellières lilloises sont mentionnées pour la première fois en 1582, à l'occasion de la visite du duc d'Anjou. Plusieurs d'entre elles partirent toutefois pour Gand, suite au Traité d'Aix-la-Chapelle.
L'industrie dentellière locale était également victime d'un malaise général et supportait mal les taxes élevées imposées par l'Etat français. En mars 1705, les marchands de dentelle se rebellèrent et se plaignirent de la mauvaise situation de leur industrie. Celle-ci se maintint pourtant au XVIIIe siècle. L'hôpital de Lille occupait en 1723 près de 700 dentellières qui faisaient de la "fausse Valenciennes, très rapprochée de la vraie".
Le Dictionnaire Universel de la Géographie Commerçante de Peuchet relatait en 1789 qu' "on fait à Lille des dentelles dans le genre de Malines et de Valenciennes, beaucoup de fausses Valenciennes".
L'ouvrière lilloise donnait à ces minces bandes de dentelles des noms charmants qui appartiennent aujourd'hui au folklore : cerf-volant, chat, tête de mort ou papillon. Nicolas, dont la fête tombait le 9 mai, était son saint patron. La fête du broquelet, à laquelle s'associèrent peu à peu les marchands de fil et les ouvriers de l'industrie cotonnière, durait 8 jours et devint finalement la fête de l'industrie textile. Un tableau de Watteau illustre ces festivités.
La dentelle de Lille et son évolution
Le point de Lille typique, qui doit son nom à l'invention du léger fond de réseau, fond clair ou fond simple, n'est apparu que vers le milieu du XVIIIe siècle. Il connut un grand succès, en partie grâce à celui déjà obtenu, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, par la dentelle de Malines dont la transparence et la finesse répondaient au goût et à la mode de l'époque. La dentelle de Lille ne fut pourtant jamais une dentelle d'avant-garde, mais plutôt une simplification de la dentelle de Malines, moins chère que celle-ci parce que plus rapide à exécuter. La maille légère, formée par la torsion de deux fils, se compose d'hexagones dont les côtés parallèles sont perpendiculaires à la lisière. Le mat est fait de passées entières et le cordonnet qui entoure les motifs leur donne un fort contraste par rapport au fond.
Les dessins sobres, dans le style du début du XIXe siècle, étaient faciles à réaliser dans ce type de dentelle. On pouvait même intégrer dans son décor les motifs linéaires du tulle brodé. Lorsque, vers 1830-1840, la mode exigea des motifs plus grands, les dentelières s'efforcèrent de répondre à la demande, ce qui n'alla pas sans mal et causa la ruine de l'industrie. On vit cependant de la dentelle de Lille à l'Exposition londonienne de 1851 où elle fut décrite comme étant "the finest, lightest, the most transparent, and best made". A l'époque, les dessins nets avaient déjà été remplacés par des fleurs plus grandes et des feuillages élégants.
En 1803, le prix du fil ayant augmenté de 30%, les dessins proposèrent des mailles plus grandes qui ne nécessitaient moins. A partir de 1830, cette dentelle fut réalisée en coton. Les motifs s'appauvrirent, ce qui fut néfaste pour la valeur de la production. Un joli volume d'échantillons (Lille, Musée de l'Hospice Comtesse) comportant de petites pièces intéressantes prouve que la dentelle de Lille restait cependant très importante dans la région. On y signale également la visite de Napoléon III et d'Eugénie de Montijo pour lesquels on avait fait trois échantillons ayant l'aigle impériale pour motif principal.
Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle et mises à part quelques situations qui favorisèrent une résurrection, la dentelle atteignit un creux dont elle ne sortira plus : vers 1870, la production de Lille s'arrêtait. La dentelle mécanique y était pour quelque chose. À son carreau et ses fuseaux, la dentellière préférait d'ailleurs le travail en usine, et ce phénomène touchait tous les types de dentelle. Le point de Lille émigra vers diverses régions, entre autres vers Beveren-Waas en Belgique où il acquit un aspect original et servit à orner les coiffes hollandaises.
On en réalisa également à Turnhout et à Marche. Toute l'Europe exécuta ce genre de dentelle, le Danemark (Tonder) comme l'Angleterre (Buckingham), la Russie ou l'Italie. Outre les dessins spécifiques, ce sont les petites différences techniques qui donnent à cette dentelle son caractère propre.
Célèbre Dentelle d'Arras
Arras, capitale de l'Artois, située non loin de Lille, n'appartint définitivement à la France qu'en 1659. Le couvent Sainte-Agnès y fut chargé en 1602 " d'élever et de maintenir les jeunes filles dans la crainte de D.ieu, mais encore de leur apprendre à lire, écrire, coudre, filer et faire passements, dentelles, tapisseries, et choses semblables".
Les religieuses offraient tous les ans six aunes de dentelle à l'abbaye de St.-Vaast. La dentelle d'or d'Arras était célèbre à l'époque : une grand quantité en fut fournie au roi d'Angleterre Georges Ier à l'occasion de son couronnement . En 1665, Colbert fit installer une Manufacture qui produisait probablement de la dentelle de Flandre. L'intendant d'Amiens, M. de Benage, écrivait en mai 1713 : " Les dentelles qui se fabriquent à Arras [...] qui passent pour être assez belles, ne sont qu'une copie de celles de Valenciennes, et les ouvrières les fabriquent très lentement.
La dentelle de Lille proprement dite ne fut introduite à Arras que vers le milieu du XVIIIe siècle. A partir de 1780, on y fit aussi une dentelle plus grossière destinée principalement à l'Angleterre. L'industrie dentellière arrageoise survécut à la Révolution, puisque la région comptait encore 8000 dentellières en 1851. Elle périclita vers 1881, la dentelle ancienne n'étant plus pratiquée que dans une seule maison.
En 1883, l'Académie d'Arras tenta en vain de la sauver. Si la dentelle de Lille réalisée à Arras n'offrait pas un décor très varié et ne possédait pas la finesse de la lilloise, elle avait pourtant des qualités : elle était plus solide et d'une blancheur parfaite.
Dentelle Blonde
Dentelle Blonde du XVIIIe siècle
La Blonde doit son nom à la couleur de la soie de Nankin dont elle était faite. C'est Marie-Antoinette qui en avait lancé la mode. Le Mercure Galant en fait mention pour la première fois en mars 1726 : "blonde, qui est une espèce de dentelle de fil ou de soie froncée" et puis en 1730, à propos de la mode des bonnets : "blonde de soie et argent ornées de fleurs artificielles en broderie".
Ce n'est toutefois qu'au milieu du XVIIIe siècle que la blonde fut réalisée sur une grande échelle. Elle eut beaucoup de succès et est souvent mentionnée dans la correspondance commerciale et les manifestes des bateaux qui faisaient escale en Amérique au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Robert C. Nicholas de Williamsburg, (Virginie) demanda en 1768 au marchand de tabac londonien, John Norton, de lui fournir "20 yards of the best blond Lace that can be had for ..." et en 1799, pendant la guerre de l'Indépendance américaine, le navire américain Salisbury, confisqué par les Anglais, contenait "100 yards bone lace [...] 2 blond lace caps [...], blond lace of various prices [...] 12 yards double edge blond lace ...".
Inutile de dire que de grandes quantités de blonde étaient passées en contrebande dans toute l'Europe. Mademoiselle Rose Bertin, une des principales couturières parisiennes et fournisseuses de la cour, procura à Madame la Comtesse de Boulainvilliers en 1787 un chapeau de sa création : "
un chapeau de linon batiste rose bordé d'une très belle dentelle noire grande hauteur, fond d'Angleterre, bordure à épis d'une blonde".
À Marie-Antoinette elle fournissait surtout des toilettes ornées de "blonde de chenilles, blonde fond d'Alençon, blonde fine, tulle, blonde fond tulle, blonde à pois." La blonde de chenilles est une dentelle dont le dessin du contour, très sobre et souvent géométrique, est formé d'un épais fil de soie effiloché sur un fond de mailles fantaisie de soie ou de fine toile.
La blonde à pois était un filet moucheté de points d'esprit carrés, la blonde font tulle avait un fond du type parisien tandis que la blonde à fond d'Alençon était le type le plus courant à réseau de Lille. Ces appellations existent encore de nos jours dans la dentelle mécanique. Au XVIIIe siècle, de grandes quantités de blonde furent réalisées au Puy et dans ses alentours, aux environs de Paris, dans la petite ville de Chantilly, et peut-être près de Rouen. À la fin du siècle, dans son Dictionnaire Universel Peuchet citait Bayeux, Caen et Dieppe comme centres de blonde blanche et noire.
Dentelle Blonde du XIXe siècle
À partir de la fin du XVIIIe siècle, cette dentelle fut réalisée avec un fond clair, en bandes assemblées par une couture invisible. Son motif floral, dont la guirlande suivait le bord festonné des châles et des voiles, était fort simple. Ce qui caractérise la blonde des années 1830 c'est l'épais fil de soie qui sert de voyageur dans le mat au point de toile. Ce type fut appelé blonde mate et était destiné à l'origine au marché espagnol qui préférait une dentelle plus lourde.
Les dentelles blondes de Bayeux étaient particulièrement belles car elles étaient faites de soie argentée scintillante et extrêmement fine. L'aspect nervuré des feuillages et des fleurs, et la combinaison de deux fonds, celui de Lille et celui de Paris, en sont des éléments spécifiques. À partir du deuxième quart du XIXe siècle, Auguste Lefébure joua à Bayeux un rôle prépondérant. Il y fonda une école qui, comme l'écrit Palisser, était très bien organisée et fut à la base de l'industrie dentellière florissante de la ville : " formerly the apprentices were consigned to the care of some aged lace-maker, probably of deficient eyesight ; he, on the contrary, placed them under young and skilful forewomen, and the resultat has been the rising up of a generation of workers who have given to Bayeux a reputation superior to all in Calvados".
Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, on fit des essaie de dentelle Blonde en d'autres matériaux et couleurs, comme par exemple des combinaisons de soies blondes et jaunes avec du fil métallique. L'Espagne importait de France beaucoup de dentelles Blondes pour les mantilles, très à la mode à partir de la fin du XVIIIe siècle. Les dentelles Blondes espagnoles et italiennes étaient généralement noires, parfois dorées et incrustées de pièces de couleurs vives, mais peu d'entre elles sont arrivées jusqu'à nous.
Vers 1840, une fois passée la vogue de la dentelle Blonde, les villes de Caen, Chantilly et Bayeux passèrent au Chantilly noir. Après le Second Empire, on ne produisait pratiquement plus ni Chantilly ni dentelle Blonde. La machine était en mesure d'imiter fort bien les deux types de dentelle.
Dentelle de Chantilly
Chantilly, centre de production
La dentelle de soie noire serait originaire d'Espagne, mais au XVIIe siècle, l'Ile-de-France et le nord de Paris produisaient déjà pas mal de dentelle de soie, noire et crème, d'or et d'argent. Au cours des dernières années du XVIIe siècle et sous l'influence de la mode des dentelles de Malines, la région faisait d'ailleurs aussi de la dentelle de fil sur réseau au point de Paris. Le gros de la production était fourni par la petite ville de Chantilly, au nord de Paris.
Pendant le premier quart du XIXe siècle, les textes, les revues de mode et les gravures donnent encore au Chantilly le nom de dentelle Blonde, l'appellation Chantilly n'étant devenue courant qu'après que la production ait quitté la ville. C'est Marie-Antoinette, l'épouse de Louis XVI, qui, au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, mit la dentelle noire à la mode.
Avec la princesse de Lamballe, elle accorda sa protection à la fabrication de la dentelle de soie de Chantilly, de sorte que la ville devint le centre de la production royale de dentelles. On ne sait pas à quel moment Chantilly fit de cette dentelle sa spécialité. La Révolution française la fit disparaître presque complètement. Il existait encore quelques fabricants au début du XIXe siècle, mais il est certain que vers 1830 la production était tombée à zéro. Le Chantilly connut un regain à partir de 1840 sous le Second Empire, l'époque des majestueuses crinolines.
L'impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, était d'origine espagnole. Son goût prononcé pour la dentelle de soie noire eut des répercussions sur la production. En 1851, Chantilly comptait 8 à 9000 dentellières jouissant d'une excellente réputation. La firme parisienne Videcoq & Simon, déjà promotrice de la dentelle d'Alençon, fit réaliser le Chantilly surplace et gagna des prix lors de l'Exposition de Paris en 1855.
Caractéristiques du Chantilly du XIXe siècle
Le Chantilly est une dentelle à fils continus, réalisée généralement en soie noire appelée grenadine d'Alès, d'après la ville du Gard célèbre pour ses filatures de soie. Le mat du Chantilly est exécuté en demi-passée et entouré d'un fil de soie plus épais. Avant 1820, elle avait comme fond le réseau au point de Paris, aussi appelé fond chant ou fond double. On l'utilisait en combinaison avec le fond clair ou fond simple qui allait ensuite le remplacer.
Ce fond clair était aussi appelé fond d'Alençon à cause de sa ressemblance avec ce type de dentelle à l'aiguille. L'idée d'assembler d'étroites bandes de dentelle au moyen d'un point de raccroc invisible permit la création de pièces de grandes dimensions comme les châles, les voiles et les larges volants qui agrémentaient joliment les toilettes des dames du XIXe siècle.
La mode de l'époque inspirait un décor de vases, de bouquets, de corbeilles, de guirlandes de papillons et de paysages qui figuraient également dans l'Argentan et l'Alençon. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, plus précisément en 1867, on essaya d'intégrer des ombres au mat soit en ajoutant un fil supplémentaire à certains endroits, soit en utilisant un fil plus épais, soit en travaillant le mat de façon plus serrée. Après 1870, la production de Chantilly disparut presque complètement suite à la concurrence de la dentelle mécanique qui en faisait une imitation parfaite. Ce n'est qu'en combinant qualités techniques et dessins artistiques que la dentelle faite main parvint à résister à la concurrence de la machine.
La fin du siècle manifesta un nouvel intérêt pour les grands châles en Chantilly, mais la dentelle s'était quelque peu alourdie et ses dessins étaient moins détaillés que cinquante ans auparavant.
Autres centres de production du Chantilly
On faisait de la dentelle Blonde et de la dentelle de soie noire à Caen au XVIIIe siècle, mais il fallut attendre le XIXe pour qu'elles deviennent célèbres. Le même phénomène se retrouve à Bayeux qui ne reçut ses lettres de noblesse pour la production de dentelle Blonde et de Chantilly qu'aux XIXe siècle. La dentelle Blonde connut son heure de gloire de 1815 à 1830, et passa ensuite le flambeau au Chantilly.
À partir de 1829, lorsque la célèbre maison Lefébure vint s'y établir, la ville devint réputée pour sa production dentellière. Lefébure ouvrit des ateliers où l'on fabriquait entre autres du Chantilly et de la dentelle Blonde noire de très grande qualité. En 1839, la maison Violard fabricant de cashemire et de dentelle à Caen et à Paris, présenta à l'exposition de Paris de la dentelle noire comportant un décor floral et des cartouches dans le style du XVIIe siècle.
La dentelle de soie noire n'était pas le privilège de la Normandie : du Chantilly, moins fin il est vrai, était réalisé au Puy, et encore dans le Buckinghamshire, sur la côte ligurienne (Italie) et en Espagne.
En ce qui concerne la Belgique, le Chantilly émigra vers Grammont et Enghien vers 1840 et y triompha jusqu'au XXe siècle. Il n'est pas toujours facile de distinguer les Chantilly français et belge. Le français à généralement meilleure réputation, mais la Belgique a réalisé des pièces superbes. Le Chantilly de Bayeux, moins noir, a un reflet argenté parce que le fil contient moins de colorant ce qui lui donne de l'éclat et de la chaleur. Le Chantilly français est plus nuancé et son mat plus serré ; les bourdons sont fixés par un point de Lille, alors que dans le belge ils sont plus lâches.
La dentelle belge se caractérise par son dessin plutôt classique, la française parait plus moderne et plus travaillée. Le correspondant français à l'Exposition de Londres en 1851, F. Aubry, notait que le Chantilly de Grammont et d'Enghien constituaient une réelle menace pour Caen et Bayeux, le jury ayant fait l'éloge de cette dentelle de bonne qualité et néanmoins très bon marché.
La production de dentelle mécanique en France
La réalisation de dentelle mécanique avait été précédée de celle du tulle mécanique, ce dernier devant probablement son nom à la petite ville de Tulle, non loin de Limoges. Vers le milieu du XVIIe siècle, la cour de Versailles achetait déjà ce filet brodé très raffiné qui était une particularité de la petite ville. En 1772, un auteur inconnu écrivait dans l'Annuaire du Bas-Limousin : "Il y a à Tulle depuis très longtemps une industrie particulière, qui fournit de l'occupation aux filles des bourgeois ; c'est le réseau de fil de Flandre ou filet rebrodé, connu sous le nom de Point de Tulle.
Il y avait autrefois plusieurs manufactures qui sont réduites à une seule ; c'est celle de Mlle Gouttes qui a mis cette dentelle à son point de perfection, soit par le beau fil qu'elle emploie, soit parce qu'elle s'est procuré des dessins plus simples, plus légers et de meilleur goût, soit enfin par la façon de la travailler". La première machine capable de reproduire ce filet rebrodé fut mise en route vers 1768. Aussitôt le terme tulle fit son entrée dans le vocabulaire désignant aujourd'hui encore, un textile mécanique fin et transparent.
Marie-Antoinette possédait de nombreuses pièces en tulle. Rose Bertin, marchande de Modes de la Reine, lui livra en 1792 "un voile de gaze tulle blanc, une mantille d'entoillage fond tulle à bouquet, garnie d'une dentelle blonde à pois à feston la tête d'un ruban de blonde plissé. Et c'est sans doute ce même tulle que l'on retrouve sous l'appellation de French net sur la liste des marchandises transportées par le "Nathaniel" faisant route vers Boston en juillet 1788.
Par analogie avec le fond de réseau, l'appellation tulle désigne la dentelle faite main que l'on réalisait à Lille. Il n'est pas toujours facile de déceler si les comptes et les inventaires parlent de tulle fait main ou de tulle mécanique. Le métier Bobin mis au point par Heathcoat fit fureur à partir de 1809 et en 1812, le tulle était à ce point populaire que Monsieur de Rens, président de l'Association des fabricants de dentelle, demanda d'urgence au gouvernement impérial d'interdire le tulle mécanique dans les costumes de cour.
En 1810, l'impératrice Marie-Louise ne possédait pas moins de 18 robes en tulle blanc, rose, bleu ou brodé d'or.
En 1818, Heathcoat avait installé à Paris une usine équipée de machines à vapeur. Il en transporta entre 150 et 170 à St.-Quentin en 1826 et leur fit faire du tulle. D'autres furent installées à Douai (1816) et à Calais (1817). Comme toutes les villes de la région, Calais s'était consacrée aux XVIIe et XVIIIe siècles à la dentelle faite main. La dentelle mécanique devint très vite une industrie florissante. Calais et ses environs réalisèrent également une imitation de dentelle à l'aiguille sur les machines importées de Suisse en 1887.
Elles utilisaient un procédé basé sur une broderie mécanique dont le fond, constitué d'un matériau périssable, était rongé, d'où les noms de dentelle chimique ou dentelle brûlée. Les machines originales furent adaptées et améliorées en vue de la production d'une imitation réussie de dentelle. Les machines Leavers et Pusher furent introduites à Lille, Paris et Calais. Pendant la crise des années '30, de nombreux fabricants de dentelle quittèrent l'Angleterre. Un certain Ferguson s'établit à Calais et y installa une usine de dentelle. Son fils, qui entretemps avait pris la tête d'une des usines de dentelle les plus importantes de Calais, reprocha à l'Angleterre en 1855, au cours de l'Exposition de Paris, de n'attacher d'importance qu'à la production sans tenir compte de l'aspect artistique.
Les vêtements de la seconde moitié du XIXe siècles utilisaient fréquemment de la dentelle mécanique qui répondait parfaitement à la mode des étoffes légères et remplaçait les fines dentelles. On les trouvait sous diverses formes et dans diverses qualités : du fond de réseau en soie de Lyon au tulle mécanique en coton des Vosges. La production de tulle mécanique brodé de Tarare, aux environs de Lyon, mérite une mention particulière puisque plusieurs spécimens furent présentés à l'exposition internationale de 1867.
Lors d'une visite officielle en Angleterre, l'impératrice Eugénie portait ce qu'une revue de mode de 1855 appelait une robe blanche "à deux jupes" en tulle brodé garnie de nœuds de velours écarlate et de grappes de lilas blancs. Quelques mois plus tard la reine Victoria lui rendit la politesse et apparut au dîner vêtue elle aussi d'une robe blanche en tulle brodé ornée cette de grappes d'acacia.
Les applications de motifs en dentelle aux fuseaux ou en dentelle à l'aiguille sur tulle mécanique eurent du succès jusqu'au XXe siècle.
La dentelle en France au début du XXe siècle
Dès le XVIIIe et XIXe siècles on s'efforça d'enseigner correctement la pratique de la dentelle. Les écoles, de part leur organisation stricte, contrôlaient la qualité de la dentelle et n'avaient donc pas seulement une fonction socio-économique. Afin d'élever le niveau du produit et d'en améliorer la valeur artistique, on organisait des expositions. En temps de crise en effet, seule la dentelle de grande qualité trouvait des débouchés qui pouvaient sauver l'industrie dentellière de la ruine.
Cette crise toucha la France au début du XXe siècle. Dans les régions dentellières, la loi Engerand de 1903 garantissait aux écoles communales l'enseignement de la dentelle faite main. De nombreuses expositions, parmi lesquelles celle de 1904 à Paris, tentèrent de donner un second souffle à l'industrie dentellière en ne présentant que des réalisations françaises. En France, comme partout en Europe, on essaye de renouveler le graphisme de la dentelle : certaines pièces s'ornaient d'un décor art nouveau. De nombreux artistes comme Chaleyé, professeur à l'école du Puy, ou Rougier et Aubert, dessinaient de la dentelle d'un style nouveau qui était ensuite réalisée dans de grands ateliers comme ceux de la maison Lefébure déjà citée, ceux de la maison L. Oudin ou à l'école du Puy.
Au cours du XXe siècle, les expositions et les concours de dessins témoignent des efforts entrepris pour élever le niveau de cet art. Pour le reste, la France exécutait surtout des copies de styles passés comme le point de Venise et sa variante, ou le point Colbert, une spécialité dont s'était chargée la maison Lefébure de Bayeux. Pendant la Première Guerre mondiale, la war lace joue un rôle important et suscita, notamment en Belgique, un léger regain d'activité. La dentelle-souvenir réalisée à la main pour les soldats américains offrait un décor patriotique. La dentelle mécanique qui fut très à la mode à partir du Second Empire, allait dorénavant faire partie intégrante du costume et du linge de maison. Elle s'inspirait principalement de styles anciens, sauf quelques cas exceptionnels comme les superbes dessins contemporains réalisés sur les machines de Calais.
Choisissez la fine dentelle française qui vous correspond le mieux
Comme nous avons pu le voir, l'industrie dentellière a connu bien des rebondissements, et celle-ci a toujours su s'adapter à son marché, pour ne pas sombrer, et se réinventer pour concurrencer, notamment, les dentelles italiennes et flamandes.
Vous êtes dès lors, bien au fait des diverses évolutions que cette industrie textile clef a pu connaître au cours de sa glorieuse histoire, et des noms prestigieux qui ont jonché son chemin. Dès lors, vous êtes désormais en mesure d'identifier, et de sélectionner avec précision la dentelle qui saura le mieux vous valoriser, et s'adapter à votre personnalité.
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